Les Smart Grids : vers une adoption grand public des services énergétiques
Avis d'experts
07 novembre 2024
Executive Summary
Les Smart Grids ont un rôle crucial dans la transition énergétique, alors que le monde fait face à des défis environnementaux majeurs.
En intégrant les technologies de l’information et de la communication, ils permettent d’optimiser la production, la distribution et la consommation d’énergie, tout en facilitant l’intégration des énergies renouvelables. Si ces technologies ont le potentiel de révolutionner le secteur énergétique, leur adoption par le grand public reste limitée en France, le segment professionnel représentant un gisement plus rentable.
Cet article présente un état des lieux du développement des Smart Grids, présente les nouveaux services énergétiques qui en émergent, et met en lumière les freins à lever pour une adoption plus large incluant le grand public. L’industrialisation des Smart Grids est une réalité en France, avec des projets et des infrastructures en place.
Toutefois, pour maximiser leur impact, il est nécessaire de sensibiliser les consommateurs aux avantages des services énergétiques, de simplifier leur accès, et de lever les obstacles technologiques et structurels.
État des lieux
Dans un monde confronté à des défis environnementaux sans précédent, la transition énergétique s’impose comme une nécessité urgente.
À l’heure où la demande énergétique croît et où la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre devient impérative, les Smart Grids, ou réseaux électriques intelligents, se positionnent comme des catalyseurs essentiels de cette transformation.
Ces systèmes avancés, intégrant technologies de l’information et communication, promettent de révolutionner notre façon de produire, de distribuer et de consommer l’énergie. En optimisant l’efficacité énergétique, en intégrant les énergies renouvelables et en améliorant la gestion des ressources, les Smart Grids offrent une réponse innovante et durable aux enjeux énergétiques contemporains.
Cet article explore comment ces réseaux intelligents peuvent contribuer à l’essor de nouveaux services énergétiques, vecteurs essentiels de la transition énergétique, bien que l’adoption de ceux-ci par le « grand public » soit loin d’être acquis.
D’après la Commission de régulation de l’énergie, le Smart Grid désigne « un réseau d’énergie qui intègre des technologies de l’information et de la communication, ce qui concourt à une amélioration de son exploitation et au développement de nouveaux usages tels que l’autoconsommation, le véhicule électrique ou le stockage ». En collectant des informations sur l’état du réseau, les Smart Grids contribuent à une adéquation entre production, distribution et consommation.
L’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie en France au début des années 2000 s’est accompagnée d’une digitalisation croissante du secteur, poussé notamment par la transition énergétique et la recherche de la performance. C’est dans ce contexte que les technologies « Smart Grids » ont commencé à se développer à grande échelle.
Des démonstrateurs et expérimentations Smart Grids se sont largement déployés sur tout le territoire : en région PACA avec le projet Flexgrid, en Bretagne et au Pays de Loire avec le projet SMILE, dans les Hauts de France avec le projet You&Grid. Ce programme a permis de mettre au point le socle industriel des Smart Grids que sont le compteurs Linky, le contrôle commande numérique, les objets connectés sur le réseau (IoT), le monitoring des transformateurs… favorisés par un cadre règlementaire propice.
L’objectif de neutralité carbone en 2050 implique des évolutions structurantes pour la société française dans les trente prochaines années.
La Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) ambitionne de réduire de 40 % la consommation d’énergie d’ici 2050 tout en augmentant le recours à l’électricité (décarbonée), qui sera amenée à couvrir plus de 55 % des besoins finaux contre 25 % aujourd’hui.
En 2022, l’Union européenne a fixé cinq grands objectifs pour décarboner le paysage énergétique européen, dans le cadre des plans Fit for 55 et REPowerEU :
- Réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990
- Réduire d’au moins 40% la consommation d’énergie finale d’ici à 2030 (par rapport à 2007)
- Mettre fin à la dépendance aux combustibles fossiles russes avant 2030
- Porter la part des énergies renouvelables à 45% à l’horizon 2030
- Augmenter de 9 à 13% l’objectif d’efficacité énergétique fixé en 2020.
Dans le cadre des plans Fit for 55 et REPowerEU, les Smart Grids sont essentiels pour atteindre les objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d’amélioration de l’efficacité énergétique et d’augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen. Ils représentent une infrastructure clé pour une transition énergétique réussie et durable.
Cela à travers 3 leviers principalement :
Intégration des EnR
Un meilleur pilotage de la production et de la consommation d’électricité, ainsi qu’une intégration facilitée et accélérée des énergies renouvelables variables (solaire et éolien) avec un enjeu important lié au stockage et aux services systèmes.
Réalisation des économies d’énergie
L’augmentation des économies d’énergie, notamment celles des bâtiments (en complément de l’isolation thermique), grâce au pilotage intelligent, automatique ou à distance, de l’éclairage, du chauffage et des différents équipements, en s’appuyant sur l’installation de capteurs et d’objets connectés. Ainsi, de plus en plus de consommateurs deviendront des (consom’acteurs) dans la mesure où ils pourront réinjecter leurs surplus de consommation dans le réseau.
Cas d’usage
Le déploiement de nouveaux cas d’usage tels le pilotage de la recharge des véhicules électriques, l’optimisation de l’autoconsommation individuelle ou collective, les offres de raccordements intelligents des EnR.

Aujourd’hui, l’industrialisation des Smart Grids en France est une réalité. Ils répondront à des cas d’usages de plus en plus nombreux, sur toutes la chaine de valeur de l’électricité (de la production à la consommation) en accord avec les enjeux du moment.
Les récentes études nous montrent que la croissance du marché des Smart Grids à horizon 2030 s’accompagnera d’une évolution de la création de valeur vers la Consommation. Dans les segments Transports et Distribution, le déploiement de Smart Grids ayant commencé au cours de la dernière décennie (ex. : compteurs intelligents), le potentiel de croissance de ces segments à horizon 2030 sera moins important.
Plus concrètement cela signifie que les infrastructures de transport et de distribution s’étant désormais dotés des nouvelles technologies « Smart Grids », cela permettra de libérer le potentiel de consommation conduit par les nouveaux cas d’usages mentionnés notamment sur les véhicules électriques.
Sur le volet Production, cela concernera tout d’abord la nouvelle façon de piloter l’équilibre offre/demande dans un contexte où les sources énergies intermittentes seront de plus en plus présentes et avec la tendance d’une Production de plus en plus décentralisée où les consommateurs deviennent également à leur tour producteurs (développement de Virtual Power Plants qui est un réseau de systèmes énergétiques distribués qui sont orchestrés via une plateforme centrale pour optimiser la production et la consommation d’énergie, de microgrids qui est un petit réseau électrique local avec ses propres sources d’énergie, capable de fonctionner indépendamment du réseau principal, …).

Top 5 des priorités d’investissements dans le secteur
- La mobilité électrique : développement de solutions visant à améliorer l’efficacité du réseau de recharge des véhicules électriques.
- Intégration et pilotage des EnR (Énergies Renouvelables) : utilisation de technologies de prévision avancées pour anticiper la production intermittente des énergies renouvelables et ajuster la demande en conséquence.
- Stockage : déploiement de systèmes de stockage d’énergie à grande échelle pour lisser la production d’énergie renouvelable et répondre à la demande en période de faible production.
- Smart building et Smart home : intégration de capteurs IoT et de systèmes de gestion énergétique pour optimiser l’efficacité énergétique des bâtiments et réduire les coûts opérationnels ainsi que l’adoption de solutions domotiques intelligentes pour permettre aux utilisateurs de surveiller et de contrôler leur consommation d’énergie à domicile, favorisant ainsi l’efficacité énergétique et la réduction des coûts.
Toutes ces évolutions entraineront la nécessité pour les usagers de piloter leurs consommations ce qui sera facilité par des services énergétiques exploitants les données collectées par les compteurs évolués et d’autres capteurs.
Ces services reposent sur le passage à l’acte, directement ou par délégation, de consommateurs de plus en plus sensibles aux questions de sécurité d’approvisionnement et de changement climatique.
Le contexte actuel est donc un signal d’alarme pour le développement de ces services, mais lui est aussi propice.
L’émergence de nouveaux services énergétiques
Les cas d’usage liés à la consommation pour les clients résidentiels ont permis le positionnement d’acteurs proposant des services énergétiques qui valorisent les données de consommation, issus de Linky et des appareils objets connectés.
Ces technologies facilitent l’émergence de services qui offrent aux consommateurs la possibilité de jouer un rôle actif dans l’équilibre du réseau. Ces services connectés favorisent une sensibilisation des consommateurs aux enjeux de la flexibilité pour les réseaux. Ils peuvent être regroupés selon leur degré d’influence sur l’équilibrage du réseau électrique, ils vont ainsi du simple suivi de la consommation au pilotage de gisements de flexibilité.
Suivi de consommation
Grâce aux données collectées par les compteurs communicants Linky d’Enedis, les consommateurs peuvent désormais accéder à des informations en temps quasi réel sur leur consommation d’énergie. Cela leur permet de mieux comprendre leurs habitudes de consommation, de détecter les gaspillages et d’identifier d’éventuelles anomalies. Avec cette prise de conscience de leurs usages, les consommateurs peuvent prendre des décisions éclairées pour maîtriser leurs coûts et soulager le réseau.
Par exemple, le dispositif « Ma conso » proposé par Engie permet d’accéder à sa consommation au pas horaire, journalier, mensuel ou annuel. Ce dispositif adresse également par courriel ou directement sur l’application un bilan mensuel de l’évolution de la consommation, comparée aux années précédentes et mise en perspective avec le contexte météorologique. Ce service repère également les appareils les plus consommateurs d’électricité et informe le client de tout changement notable de consommation. De son côté, l’application « Enedis à mes côtés », destinée aux producteurs et consommateurs d’électricité, propose un suivi détaillé de la consommation. Ces offres de suivi peuvent être encore plus élaborées, constituant une première étape vers l’optimisation tarifaire et une gestion plus efficace de l’énergie.
Pilotage explicite à la main du consommateur
Le pilotage de la consommation d’électricité à la main du consommateur repose sur l’accès à une information dédiée à l’aide d’un boitier connecté et l’utilisation d’un signal-prix qui récompense les efforts de maîtrise de la consommation. Ce système permet aux consommateurs de mieux gérer leur consommation énergétique tout en bénéficiant d’incitations financières. Plusieurs services sont proposés pour accompagner cette démarche.
Par exemple, EDF propose la mise en place de plannings prévisionnels de consommation basés sur les habitudes passées, permettant ainsi une gestion anticipée et optimisée de l’énergie. D’autres acteurs, comme Engie, offrent des conseils personnalisés pour aider les consommateurs à identifier les meilleures pratiques pour réduire leur consommation. En outre, des solutions comme celles proposées par TotalEnergies incluent le respect d’un budget énergétique avec des alertes envoyées en cas de dépassement des seuils fixés par le client, permettant ainsi un suivi rigoureux des dépenses. Les offres tarifaires comme les options Heures Pleines/Heures Creuses et les éventuelles modulations apportées à ce tarif biennal, les abonnements type « à pointe mobile » qui prennent en compte une forte variation de prix les jours de pointe, constituent de premières possibilités proposées aux clients pour piloter leur consommation d’énergie.
Pilotage implicite de la consommation ou effacement diffus
Selon l’ADEME, le chauffage et la production d’eau chaude sanitaire représentent 77% de la consommation d’un foyer chauffé au tout électrique. Ils représentent ainsi les plus gros postes de consommation électrique du logement. Le pilotage intelligent de la consommation électrique chez les particuliers consistera donc à réduire sur de très courtes durées la consommation de ces postes lorsque le système électrique en a besoin : il s’agit de l’effacement diffus. Sur accord des consommateurs souscrivant à ce service, les opérateurs d’effacement diffus installent gratuitement chez les particuliers un boitier intelligent permettant de mesurer et de commander à distance certains usages en temps réel en fonction des besoins du réseau électrique. Le pilotage de ces postes de consommation flexibles permet de réaliser des économies d’énergie lors de ces pics et soulager le réseau aux bons moments.
À titre d’exemple, l’offre d’effacement Narco, développée par Ekwateur en partenariat avec Voltalis, permet de réduire temporairement l’utilisation des radiateurs électriques d’un logement sans compromettre le confort du client grâce à un thermostat connecté. En moyenne, les clients réalisent une économie d’énergie de 15 % sur leurs factures et bénéficient de plusieurs avantages :
- Suivi de leurs consommations en temps réel, avec un pas de temps de 10 minutes
- Pilotage à distance de leurs appareils, mettant les radiateurs en veille à certains moments
- Informations météorologiques pour ajuster leur consommation
- Conseils personnalisés accessibles via une application mobile
Cette offre est gratuite pour le client, qui peut désactiver cette fonctionnalité selon les clauses de son contrat, car elle est financée par la valorisation des volumes non consommés sur les mécanismes de flexibilité de RTE.
Plus rarement et pour quelques clients désormais producteurs d’électricité, des services récents permettent d’optimiser la production et l’autoconsommation individuelle ou collective (par exemple le stockage de la production d’EnR lors d’une consommation insuffisante). Le développement des voitures électriques est également à l’origine de l’émergence de nouveau services permettant de piloter la recharge des véhicules.
Actuellement, les services les plus répandues chez les consommateurs résidentiels sont le suivi de la consommation et le pilotage explicite ce qui montre que les offres de flexibilité consistant à plus déléguer la gestion de l’optimisation aux opérateurs ne sont actuellement pas répandues. Bien que le marché soit dynamique, il se concentre principalement sur le secteur tertiaire.
Des freins à lever pour une adoption « grand public »
L’adoption des services de flexibilité énergétiques est cruciale pour réussir la transition énergétique et optimiser la gestion de l’énergie en période de forte demande. Cependant, divers freins entravent cette adoption, se limitant aujourd’hui principalement à des offres tarifaires proposés par les opérateurs.
Il est certain que le secteur résidentiel ne représente pas un gisement important par rapport au secteur tertiaire pour les opérateurs, mais il est important de considérer que la transition énergétique ne sera véritablement complète que si ces services sont adoptés par l’ensemble des parties prenantes. Les cas d’usage cités plus haut, en particulier la mobilité électrique, connaitront une croissance très importante également à l’échelle grand public.
L’un des principaux freins est la complexité perçue des systèmes de flexibilité énergétique. Les consommateurs sont souvent confrontés à une multitude d’options et de technologies, ce qui peut être déroutant et décourageant. Par exemple, l’utilisation des compteurs intelligents comme le compteur Linky, bien qu’utile, est souvent mal comprise et suscite des inquiétudes sur la gestion des données personnelles. Il est essentiel de développer des interfaces utilisateur intuitives et de promouvoir des campagnes d’information pour éduquer les consommateurs sur l’utilisation et les bénéfices des services de flexibilité énergétique.
Un autre frein réside dans la coordination insuffisante entre les différents acteurs du secteur énergétique. Les consommateurs peuvent se retrouver perdus face à des informations disparates provenant de multiples sources. Un grand nombre d’entre eux ne sont pas suffisamment informés sur les avantages des services de flexibilité énergétique et sur leur contribution à la transition énergétique. La complexité et la technicité des informations peuvent également créer une barrière. La création de plateformes collaboratives où les fournisseurs de services, les autorités publiques et les consommateurs peuvent échanger de manière transparente et efficace est cruciale. De plus, des campagnes d’information large et continue sur les enjeux énergétiques et les bénéfices des nouveaux services doivent être mises en place, en s’assurant de les rendre accessibles à tous les segments de la population.
Enfin, la résistance au changement est un frein psychologique puissant. Les habitudes de consommation énergétique sont profondément enracinées et difficiles à modifier. De plus, des groupes de consommateurs tels que les « impuissants », les « indifférents » et les « récalcitrants » sont particulièrement difficiles à mobiliser. Outre les incitations financières et la mise en place de mécanismes de financement, il conviendrait d’utiliser des techniques de marketing social pour encourager les comportements proactifs et intégrer les changements dans la vie quotidienne des consommateurs. La segmentation des campagnes de communication en fonction des modes de vie et des habitudes peut également augmenter leur efficacité.
Pour que les Smart Grids et les services énergétiques innovants atteignent leur plein potentiel, il est crucial d’adopter des solutions technologiques et organisationnelles qui renforcent la confiance des utilisateurs et encouragent leur adoption. Cela nécessite une approche holistique qui combine l’innovation technologique avec des stratégies organisationnelles adaptées, soutenues par des politiques publiques et un engagement sectoriel fort. En mettant en place ces solutions, les fournisseurs d’énergie peuvent non seulement améliorer l’efficacité des Smart Grids, mais aussi jouer un rôle crucial dans la transition énergétique vers un avenir plus durable.